Les montagnes russes du boxeur
Comment la course à pied peut-elle aider à remonter la pente dans les pires moments de la vie ?
Éric-Martel Bahoeli est un boxeur professionnel retraité dont le palmarès est vertigineux. Il commence à boxer dès 16 ans, se classe professionnel en 2008, puis se bat jusqu’à obtenir le titre de champion canadien poids lourd (+ de 200 lb). Ce géant, rapidement propulsé au-devant de la scène nationale, combat aussi de par le monde. Jusqu’au moment où tout bascule.
En pleine compétition de boxe
Les risques de commotion cérébrale en compétition : la course comme remède ?
L’homme avec qui je m’entretiens est aujourd’hui serein. Il raconte son histoire avec la résilience d’un combattant qui n’abandonne pas après quelques rounds. Il est encore le boxeur déterminé, levé aux aurores pour ses sorties de course à jeun. Un esprit forgé à l’École de la boxe.
La course a toujours plus ou moins fait partie de sa routine d’entraînement. En plus du conditionnement, du cardio et de la technique, elle fait partie intégrante du programme typique de boxe. Bien qu’il la pratique maintenant par plaisir, il avoue l’avoir longtemps fait par obligation, pour optimiser ses compétences dans un autre sport. Une bouée de secours qui l’a réchappée au moment même où sa vie personnelle prenait un tournant tragique.
En fin de carrière, le meilleur ami d’Éric, également boxeur, souffre d’une commotion cérébrale. Il restera dans le coma durant 9 mois, jusqu’à son décès. Il perd alors un complice et un partenaire d’entraînement avec qui il aimait parcourir les rues du Lac-Beauport. Une situation qui l’affecte profondément et précipite sa descente aux enfers. Pensées suicidaires, dépression, mauvaises habitudes et fréquentations jalonneront son quotidien durant les prochaines années.
Éric et son meilleur ami
Rebondir dans la compétition : en route vers le trail
Éric est né à Québec dans les années 1980 d'une mère québécoise et d'un père ivoirien. Son identité, il l’a construite par à-coups, de situations discriminantes et d’absence de jeunes modèles représentatifs, jusqu’à ce qu’il s’accroche aux boxeurs afro-américains. Des légendes d’un sport qui n’avait que très peu de visibilité ici; après la fenêtre Ali en 60-70, le hockey a repris la grande place! Aujourd’hui, il ajoute David Goggings à son tableau des figures qui l’inspirent. Goggins est un ultramarathonien, cycliste, triathlète et ancien Navy Seals. Une personnalité dont la philosophie de course à pied rejoint celle d’Éric.
Éric et sa mère avant un match de boxe
En effet, l’ancien boxeur a découvert tout un pan de la course qu’il ne soupçonnait pas. Au-delà du plaisir, il a rencontré une communauté et il est maintenant administrateur du Facebook Les kilomètres de l’espoir, un groupe qui prône la bienveillance et célèbre les coureurs, peu importe leur niveau, origines et objectifs. Cette initiative est née pendant la pandémie et encourage les membres à courir jusqu’à 5 kilomètres tous les jours.
Au bout du fil, Éric me parle du bonheur qu’il ressent chaque matin après ses séances de course matinales; son « sentiment du devoir accompli ». Il varie les séances et les intensités avec de l’endurance fondamentale ou des montées et descentes d’escaliers au Cap Blanc ou de Joffre. Ce matin-là, c’est 21 kilomètres qu’il avait parcourus, et pour la première fois de sa vie! 6 pieds 3, 270 livres : un géant au pas léger! Pour lui, l’air pur et la connexion avec la nature suffisent à son bien-être. Il va plus loin en affirmant que la course l’a aidé : « Je me sens au meilleur de mes capacités cognitives, physiques et j’ai aujourd’hui la maturité d’un homme de 39 ans dans le corps d’un jeune de 16 ans! » Le programme de courses de cette saison 2021 étant bien que plus incertain, une chose est sûre : nous aurons l’occasion de l’accueillir au Trail La Clinique Du Coureur qui se tiendra le 5 juin prochain au Lac-Beauport.
Les sorties de course quotidiennes : la bouée de sauvetage d'Éric
Que dit la science sur les commotions cérébrales et la reprise de l’activité physique ?
Les coups répétés à la tête des boxeurs ne sont pas sans conséquence. Hormis le risque de commotion cérébrale, il y a aussi des effets secondaires importants tels que la perte de mémoire et d’autres problèmes neurologiques qui peuvent perdurer s’ils ne sont pas pris en charge. Éric me confie que, dans le milieu de la boxe, on connait ces risques, on entend des histoires à droite et à gauche, mais sans jamais prendre la réelle mesure de toutes les conséquences. La perte de son ami l’a brutalement conscientisé aux dommages.
Match de boxe : assurez bien votre garde
Une revue de la littérature scientifique (Hattrup et al. 2020) suggère qu’un exercice aérobique contrôlé dès les premières phases de prise en charge des commotions cérébrales aurait un effet positif sur le retour à l’école, au travail ou au sport, et ce, sans effet néfaste sur la récupération. Même si l’exercice aérobique léger peut entraîner une légère augmentation des symptômes dans certains cas, il n’augmenterait pas la durée de la récupération. Il existerait donc assez de preuves pour préconiser l’exercice physique (cardio léger) après une commotion cérébrale, en considérant quelques nuances : il ne réduit pas forcément les symptômes et n’accélère pas la reprise du sport. La revue de littérature conclut qu’il n’existe pas de protocole d’exercices optimal pour les gens souffrant d’une commotion cérébrale, et qu’une approche individualisée et interdisciplinaire serait la plus appropriée.
Les épreuves de la vie ont poussé Éric à continuer à bouger. Après 6 ans de dépression, il est parvenu à s’en sortir. Il me partage l’état d’esprit dans lequel il s’est trouvé : « Après avoir touché le fond, il fallait que je remonte. Si je peux aller loin dans la boxe, je peux aller aussi loin en course à pied ». Trouver un projet après l’arrêt de la compétition peut se révéler une tâche ardue pour certains sportifs de haut niveau. Après avoir essuyé les coups physiques durant les combats et les coups de la vie, il a aujourd’hui le sentiment d’avoir retrouvé ses capacités cognitives et d’être plus en conscience avec sa tête et son corps grâce au mouvement. À cela, il accorde une place importante à la récupération, sa routine ne laisse pas place à l’hésitation : il se lève tôt (5 heures du matin) et se couche tôt (vers 21 heures), il veille à s’alimenter et s’hydrater correctement en gardant une alimentation saine riche en fruits et produits frais. Il cultive les moments de bonheur avec sa mère, partage son expérience dans un club de boxe comme entraîneur et trouve la satisfaction d’avoir « retrouvé toute sa tête », me dit-il. Cette hygiène de vie lui permet d’être à son plein potentiel. Fort de ces expériences, il construit aujourd’hui une vie qui colle à ses besoins, un pas à la fois.
Hattrup N. et al. (2020) Early Controlled Exercise and Timing of Treatment Following Concussion: A Critically Appraised Topic. J Sport Rehabil. 29(3):360-366.