Les effets de la pratique du trail-running sur la santé mentale : gare à l’habituation !

Lessor de la course à pied, et plus encore des ultra-courses, motive à la fois de nouveaux coureurs à sengager et les chercheurs à sintéresser à cette pratique (Roebuck et al., 2018). Les résultats des recherches effectuées indiquent que la course à pied engendre des effets bénéfiques, notamment pour la santé mentale. Ainsi, les coureurs présentent des scores plus faibles de symptomatologies dépressives et anxieuses, et de plus hauts niveaux de bien-être psychologique ainsi quune meilleure humeur (Oswald et al., 2018). Cependant, d’autres dimensions de la santé mentale doivent être renseignées afin d’appréhender plus globalement l’expérience des coureurs.


Source @garybpt

 

En 2021, nous avons mené une recherche[1] auprès de 219 coureurs de trail (110 femmes, 107 hommes[2]), âgés en moyenne de 43 ans. Ils ont répondu à une série de questionnaires en ligne évaluant la gratitude, la gratitude envers soi, la compassion pour soi, la fierté, le bien-être mental, le narcissisme, l’estime de soi, le soutien social ainsi que la connexion à la nature. Nous avions pour hypothèse que la pratique fréquente du trail-running serait associée positivement à l’ensemble de ces variables, excepté le narcissisme. La pratique du trail-running a été mesurée par les nombres d’années de pratique, d’heures d’entraînement hebdomadaire, de participation aux courses de trail et aux ultra-trails. 

 

Imaginez donc notre surprise lorsque les résultats ont révélé que seul le nombre de participations aux courses (trail ou ultra-trail) est associé aux effets bénéfiques de cette pratique.

En effet, les scores de gratitude obtenus par les coureurs ayant participé à moins de 20 courses de trail étaient plus importants que ceux des coureurs ayant participé à plus de 20 courses. Un pattern similaire est mis en évidence pour d’autres variables. Par exemple, les coureurs ayant participé à moins de 5 courses de trail rapportent des scores plus élevés de gratitude envers soi, de bien-être mental et de fierté authentique que les coureurs ayant participé à plus de 20 courses.

De plus, les coureurs ayant peu participé à des courses d’ultra-trails (moins de 3) rapportent davantage de gratitude envers eux-mêmes que ceux qui ont participé à plus de 3 ultra-trails.

En résumé, ces résultats démontrent que les participants à de nombreuses courses sont moins reconnaissants, moins fiers et, dans l’ensemble, ont un bénéfice moins important que les novices en termes de bien-être mental.

 

Alors, comment expliquer ces résultats ?

 

Une explication possible réside en ce que lon nomme « lhabituation hédonique ». Il sagit du processus psychologique par lequel un individu shabitue à un stimulus — pouvant être un événement, une circonstance — de telle manière à ce que les effets émotionnels de ce stimulus samenuisent avec le temps (Lyubomirsky, 2011). En dautres termes, imaginez que vous ayez une grande soif. Un verre deau se trouve devant vous. La première gorgée bue engendre une forte satisfaction, un soulagement, un plaisir indéniable. Mais que dire de la neuvième gorgée ? Celle-ci apporte-t-elle autant de satisfaction que la première ? La réponse est généralement négative, en raison de lhabituation hédonique.

Au vu des résultats, ce processus dhabituation pourrait être à l’œuvre. En effet, par répétition de lexposition au stimulus, cest-à-dire à force de participation à des courses de trail, les coureurs shabitueraient aux bienfaits que génère lexpérience de course. Autrement dit, les coureurs expérimentés porteraient moins dattention aux bienfaits que procure lexpérience de trail que les novices, puisque cela serait habituel. Cette explication semble soutenue par les recherches relatives aux bienfaits de la pratique sportive et notamment de la course à pied (Oswald et al., 2018 ; Roebuck et al., 2018) et à lhabituation hédonique (e.g., Lyubomirsky, 2011). 

 Source @stevenlasry

 

Et maintenant, que faire ?

 

Puisque les coureurs semblent s’habituer aux bienfaits provoqués par l’expérience de course au fur et à mesure de leurs participations, il serait pertinent d’inviter ces coureurs expérimentés à porter de nouveau un regard neuf sur leur expérience, à l’instar des novices. Les pratiques de gratitude pourraient être un bon moyen de porter attention, de reconnaître et d’apprécier les bienfaits de leur expérience et ainsi de maintenir les gains en termes de bien-être mental. Différentes pratiques de gratitude existent, qu’il s’agisse, pour les plus connues, du journal ou de la lettre de gratitude. Ces pratiques visent à identifier et à exprimer les choses pour lesquelles il est possible d’être reconnaissant, que ce soit envers une entité non humaine (e.g., la nature), envers autrui ou envers soi. Dans les récits de course, certains coureurs expriment être reconnaissants envers la nature pour le splendide spectacle qu’elle offre, envers les bénévoles pour le soutien qu’ils apportent tout au long de l’épreuve, ou encore envers eux-mêmes pour s’être engagés dans cette pratique qui leur tient à cœur. Ce faisant, il serait possible de contrer, ou tout du moins d’atténuer ce processus d’habituation hédonique et ainsi de maintenir les bénéfices de la pratique du trail-running.

 

Bien entendu, d’autres recherches doivent être menées afin de répliquer et de développer ces résultats. Néanmoins, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que la pratique du trail-running est bénéfique pour la santé mentale. Cependant, ces bienfaits s’amenuisent avec le temps, du fait de la participation répétée à des courses de trail. Les pratiques de gratitude permettraient de contrer ce phénomène d’habituation hédonique.

Alors, puissent les coureurs se saisir des pratiques de gratitude pour maintenir les bienfaits de leurs expériences de course et ainsi les apprécier de nouveau comme la première fois !

 

[1] Cette recherche a été menée par une équipe de chercheurs : Plard, M., Tachon, G., Marteau-Chasserieau, F., Hallez, Q., Paucsik, M., Leys, C., & Shankland, R.

[2] Deux personnes n’ont pas souhaité renseigner leur genre.

Références



Lyubomirsky, S. (2011). Hedonic adaptation to positive and negative experiences. In S. Folkman (Ed.), The Oxford handbook of stress, health, and coping (pp. 200–224). Oxford University Press.

Oswald, F., Campbell, J., Williamson, C., Richards, J., & Kelly, P. (2020). A Scoping Review of the Relationship between Running and Mental Health. International Journal of Environmental Research and Public Health, 17(21), 8059. https://doi.org/10.3390/ijerph17218059

Roebuck, G. S., Fitzgerald, P. B., Urquhart, D. M., Ng, S.-K., Cicuttini, F. M., & Fitzgibbon, B. M. (2018). The psychology of ultra-marathon runners : A systematic review. Psychology of Sport and Exercise, 37, 43‑58. https://doi.org/10.1016/j.psychsport.2018.04.004

 

Guillaume Tachon

Doctorant en Psychologique Clinique

Laboratoire DIPHE – Université Lumière Lyon 2, France

Laboratoire VCR – Ecole de Psychologues Praticiens, France

 

Article co-écrit avec Mathilde Plard PhD, 

Chercheuse CNRS

UMR 6590 ESO

ESG-UQÀM Chercheuse associée

Chaire de tourisme Transat — Montréal

Présidente Maison Sport Santé LABSPORT