La plaque CARBONE : nouvelle arme pour exploser ses chronos sur route ? (PARTIE 1/2)

Pourquoi les grandes compagnies de chaussure de course cherchent-elles à intégrer une lame carbone à l’intérieur de leur nouveau modèle ?

On peut penser que les efforts de communication marketing entourant les projets BREAKING2 et INEOS 1:59 réalisés par Nike ont poussé la concurrence à lancer leur propre modèle avec lame en composite.

 

La ruée vers le CARBONE 

 

Revenons quelques mois en arrière en juin 2017, date de lancement sur le marché de la fameuse Vaporfly 4 % produite par NIKE™. Ces chaussures ont été commercialisées suite à l’essai du prototype Zoom Vaporfly lors du projet Breaking2 en dépensant pas moins de 25 millions de dollars.

La Vaporfly4 % est un modèle assorti d’un « 4 % », c’est-à-dire qu’il promet un gain de 4 % sur le coût énergétique, donc environ 3 % sur une performance. Cependant, la plupart des acquéreurs ont en tête un 4 % d’amélioration de leur chronomètre… Des résultats critiqués puisque l’étude à la source de ces résultats a été financée par la firme elle-même et réalisée par l’équipe Wouter Hoogkamer et Dr Rodger Kram [1] (un consultant rémunéré par NIKE).

«Un gain de 3 % sur marathon donnerait quoi ? : environ 5’ pour un marathonien en 3 h, voire 7’ pour un coureur en 4 h». 

Retrouvez la vidéo explicative sur le sujet réalisée par Blaise DUBOIS en cliquant ici FR - EN

En quoi cette chaussure diffère des modèles habituels ? : La composition de sa semelle intermédiaire (PEBAX foam comparé à l’EVA ou le TPU du Boost de chez ADIDAS™) d’une épaisseur de 31 mm et la présence d’une lame carbone.

Depuis la réussite commerciale de la 4 %, il y a bientôt 3 ans, différentes compagnies de chaussures de course se sont lancées dans la production d’un modèle équipé d’une lame composite. Mais rappelons qu’au début des années 2000 [2], Paul Tergat avait déjà porté un modèle avec lame carbone, la FILA™ Racers (semelle CarbonKevlar) de même qu’Haile Grebresselasie avec son Adidas™ Adistar Competition Proplate.

Voici une infographie (Lee-Manuel GAGNON) montrant les tendances du marché. À gauche de la flèche se trouve les modèles plus minimalistes, historique vendu ses 20 dernières années pour la performance, et à leur droite, la tendance du moment, les modèles actuels ou à venir, plus épais, et munis d’une lame de carbone.

 

 

On peut remarquer qu’Asics est le principal absent depuis que la firme allemande aux 3 bandes, Adidas, a lancé son ADIZERO Pro (dernier modèle en bas à droite de l’infographie). Mais la réussite commerciale de ces concurrents devrait les pousser à créer eux aussi leur modèle dans les mois à venir.

 

Tornade sur les records

 

Sur les autres parties du globe, si on regarde aujourd’hui les records mondiaux sur route du 5Km, 10Km, Semi-marathon et Marathon, hommes et femmes confondues, 50 % ont été établis avec des NIKE avec une lame carbone (NEXT % — 4 % — ZOOM FLY 3) ou le modèle Adidas ADIZERO PRO. Coïncidence ?

Début Mai 2019, Jim Walmsley établissait un nouveau record du monde du 50 miles (80,47 km) avec la HOKA ONE ONE Carbon X (voir Infographie ci-dessus). Son allure 3 min 36 s par kilomètres soit 16,7 km/h, fait étonnant, on a sans doute plus parlé de son chrono record (4 h 50 min 8 s) que de sa chaussure équipée elle aussi d’une lame carbone. Tant dit que quelques mois plus tard, le 12 Octobre 2019, lors du projet INEOS 1:59 dans lequel Eliud Kipchoge a réalisé la distance d’un marathon en 1h 59min et 40sec, le plan communication et marketing avait été parfaitement orchestré (Diffusion en live sur le web ; teasing sur place pour faire venir un maximum de spectateur).

Vincent GUYOT et Jean Claude VOLLMER ont fait une analyse intéressante sur le site lepape.com [3], au sujet de ces courses en France, la corrida de Houilles fin décembre et la Prom’ Classic à Nice début janvier.

« Le ratio de record personnel enregistré était sensiblement meilleur chez les possesseurs des Next% (85%) que chez les autres (63%) » : la différence est-elle vraiment significative sachant que la recherche de performance amène davantage ces coureurs à vouloir courir avec la Next% ? Et de combien (en amélioration chronométrique) les chaussures Next% étaient-elles meilleures que les autres ?

Notons que sur 500 000 analyses STRAVA, [4] plus de 50% des coureurs qui avaient changé de chaussure pour des ASICS Cumulus (une grosse chaussure) établissaient un record personnel.

Si les chiffres sont impressionnants, soyons prudents sur les conclusions hâtives sur la chaussure.

Les questions sur la chaussure équipée d’une lame de carbone intégrée dans la semelle demeurent : procure-t-elle un avantage notable sur la performance ? Si oui, à quelle hauteur est leur impact sur l’économie de course ? Ces souliers peuvent-ils être considérés comme du « dopage » au même titre que le sens qu’on lui prête actuellement ?  Est-ce un précédent du même type que la combinaison en polyuréthane utilisée en natation et interdite il y a quelques années ?

Le 31/01/2020, la fédération internationale d’athlétisme a décidé de modifier son règlement concernant les chaussures. Retrouvez l’intégralité des détails et des informations sur le site World Athletics.

 

Les principales notions à retenir sont les suivantes :

  • Tout nouveau modèle devra être disponible sur le marché pendant 4 mois avant de pouvoir être utilisée en compétition
  • La semelle ne doit pas être plus épaisse que 40 mm.
  • La chaussure ne doit pas contenir plus d’une plaque ou lame rigide intégrée

 

Si on regarde les experts sollicités à cette commission, on ne retrouve le nom d’aucun expert dans le domaine de la biomécanique ou chercheurs en lien avec la chaussure pour redéfinir les nouvelles règles.Au vu de ces mises à jour dans le règlement Nike a modifié son prototype Air Zoom AlphaFLY NEXT % porté lors du 1:59:40 sur marathon de Kipchoge à Vienne en octobre (record non validé), pour son usage pour TOKYO 2020, car elles passeraient juste le cut-off des 40 mm autorisés.

 

Lors des sélections américaines sur marathon en vue des JO, les 5 premiers hommes étaient équipés de ces AlphaFLY, chez les femmes, les 3 premières étaient chaussées avec un modèle avec une lame de carbone : 1re HOKA CARBON X — 2SAUCONY ENDORPHIN PRO – 3e NIKE ALPHAFLY NEXT %. Encore une fois ce type de chaussure est devenue la norme en 2019… Il est donc normal de la retrouver plus fréquemment sur les podiums, qu’elle améliore ou non les performances des coureurs.

 

Ici s’achève cette première partie sur le boom de la chaussure avec une lame carbone. Si vous l’avez manquée, Blaise DUBOIS vient de publier une vidéo sur le « MARKETING réussi de NIKE ». Vous pourrez la visionner en cliquant ici.

 

Dans le prochain volet, je passerai en revue la littérature scientifique afin de tirer au clair les vérités sur les potentielles améliorations qui peuvent se glisser dans la composition de nos chaussures de course.

 

Sources Bibliographiques :

 

[1] Hoogkamer WKipp SFrank JHFarina EMLuo GKram R- A Comparison of the Energetic Cost of Running in Marathon Racing Shoes - Sports Med. 2018 Apr;48(4):1009-1019.

[2] https://www.outsideonline.com/2408971/nike-vaporfly-controversy

[3] https://www.lepape-info.com/actualite/une-analyse-de-la-flambee-des-performances-a-houilles-ou-quand-les-chronos-ne-veulent-plus-rien-dire/

[4] https://www.nytimes.com/interactive/2019/12/13/upshot/nike-vaporfly-next-percent-shoe-estimates.html

Maximilien LAPIERRIERE

Speaker La Clinique Du Coureur