Course en sentier et pharmacologie
L’automédication inappropriée est un sujet préoccupant de santé publique. L’utilisation judicieuse d’une médication comporte plusieurs étapes afin de s’assurer de maximiser les bénéfices escomptés tout en minimisant les effets secondaires potentiels.
Je vous propose ici de passer en revue les motifs les plus courants incitant les athlètes à faire appel à la pharmacologie ainsi que l’utilisation judicieuse de cette dernière.
- 1- La douleur
1.1 Les anti-inflammatoires non-stéroïdiens
Nombreux sont les coureurs qui consomment des AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens) de façon routinière pour atténuer les inconforts liés à l’entrainement ou dans le but de réduire la perception d’inconfort et d’améliorer sa performance lors d’une course.
Dans cette classe de médicaments, on trouve l’ibuprofène (Motrin et Advil), le naproxène (Aleve et Naprosyn), le célécoxib/COX-2 (Celebrex), l’indométacine (Indocid), le méloxicam et le diclofénac (Voltaren), pour ne nommer que ceux-là.
1.1.1 Quels sont les bénéfices réels?
L’efficacité analgésique des AINS est bien reconnue mais varie passablement d’une condition à l’autre selon la nature et la chronicité d’une blessure. Les lésions ligamentaires « aigues » pourraient potentiellement bénéficier d’une utilisation « courte » d’AINS pendant la phase inflammatoire de la blessure, donc au maximum quelques jours. Cette pratique est toutefois remise en doute. Certaines études sur les entorse à la cheville on en effet démontré qu’après six mois la laxité ligamentaire serait augmentée, les amplitudes articulaires réduites et le taux de récidive plus élevé chez les utilisateurs d’AINS. La cause serait-elle le retour trop précoce à l’activité ou l’utilisation d’AINS? Le doute persiste. Par ailleurs il est maintenant bien établi que les AINS ralentissent la guérison des fractures en altérant certaines hormones nommées prostaglandines. Leur utilisation est donc à proscrire pour les fractures de stress bien connues chez le coureur. Les tendinopathies par surcharge (tendinopathie d’Achille, rotulienne, syndrome fémoropatellaire, syndrome de la bandelette iliotibiale, etc.) ne sont pas des pathologies inflammatoires. C’est pourquoi l’appellation « tendinite » laisse maintenant place à « tendinopathie », qui représente mieux le phénomène de surmenage non inflammatoire réellement en place. Il y a donc peu de bénéfices à traiter ces pathologies non inflammatoires à l’aide d’AINS.
Selon une étude publiée en 2013 dans le prestigieux British Medical Journal, au moins 50 % et jusqu’aux deux tiers des coureurs consomment des AINS avant un marathon et environ 10 % d’entre eux prennent des doses au-dessus de celles recommandées. Pourtant, plusieurs études récentes de bonne qualité ont démontré que l’utilisation prophylactique d’AINS ne modifie pas la perception de la douleur aux jambes lors d’une épreuve d’endurance et ne bonifie pas la performance.
Les effets secondaires associés à la prise d’AINS sont importants et à considérer sérieusement. Environ 12 % des coureurs ayant consommé des AINS souffriront d’effets secondaires. Plus la dose prise est importante et prolongée, plus l’incidence et la sévérité des impacts négatifs seront importantes.
1.1.2 Quels sont les effets secondaires potentiels
Trois classes d’effets secondaires ressortent :
Les effets secondaires gastro-intestinaux
De loin les effets secondaires les plus fréquents, ils sont plus importants lorsque les AINS sont consommés sur une base régulière. Les études soulèvent une incidence de gastrites et d’ulcères gastriques ou duodénaux chez 15 à 30 % des utilisateurs réguliers.
Lors d’une épreuve d’endurance ou d’ultra-endurance, le sang est dévié du système digestif vers les groupes musculaires à l’effort dont la demande en oxygène est augmentée. L’estomac et les intestins se retrouvent alors irrités et fragilisés. Autre fait intéressant, on observe que les crampes abdominales menant à l’abandon d’une épreuve sont également plus fréquentes chez les coureurs qui ont pris des AINS.
Les effets secondaires rénaux
Les prostaglandines sont des hormones importantes pour le bon fonctionnement des reins. Leur inhibition par la prise d’AINS constitue un facteur de risque significatif d’insuffisance rénale. Le risque est nettement accru si on ajoute à ceci un contexte de déshydratation (qui est un enjeu considérable dans la pratique des épreuves d’endurance) et de lyse musculaire. La libération de protéines musculaires nommées CK est favorisée par les effort soutenus surtout excentrique (lorsque le muscle force en s’allongeant comme lors de descentes soutenues) qui peuvent causer des dommages rénaux.
Par ailleurs, selon des études préliminaires, l’état d’« hyponatrémie » (intoxication à l’eau), craint chez l’ultra-marathonien, serait observé plus fréquemment s’il y a eu prise d’AINS. Nous ne comprenons toutefois pas encore tout à fait les mécanismes en jeu pour expliquer cette deuxième observation et plus de recherches sont requises pour émettre des recommandations claires à ce sujet.
Les effets secondaires cardiovasculaires
Le risque d’évènements cardiovasculaires de type infarctus dans la population générale serait augmenté par les tous les anti-inflammatoires et plus particulièrement ceux de type COX-2/célécoxib. De plus, tous les anti-inflammatoires ont un effet hypertenseur et devraient être évités par les coureurs traités pour de l’hypertension.
À la lumière de tout ceci, soulignons qu’il existe des alternatives à l’utilisation d’AINS. Les études démontrent que l’acétaminophène (Tylenol) présente une efficacité analgésique similaire à celle des AINS et un profil d’effets secondaires nettement moins nocif lorsqu’une posologie maximale de 4 g/24 h est respectée. Rappelons également que la glace représente une excellente modalité analgésique et anti-inflammatoire.
Une chose est certaine, la prise d’AINS lors d’épreuves d’endurance et d’ultra-endurance devrait être proscrite et une sensibilisation devrait être prodiguée à cet effet par les promoteurs d’évènements. Si une prise d’AINS est vraiment requise en période d’entrainement, l’addition d’une protection gastrique de type IPP (Pantoloc, Dexilant, Nexium) ou anti-H2 (Zantac) réduit considérablement (de plus de 50 %) le risque d’effets secondaires gastriques. Finalement, les formulations en gel (Voltaren Emulgel) sont une option intéressante pour réduire les effets secondaires systémiques des AINS sans en réduire l’efficacité.
De façon générale, jouer à l’autruche en tentant de masquer à tout prix la douleur pour devancer un retour à l’entrainement est rarement « payant » pour un athlète. Mieux vaut prendre le temps nécessaire pour guérir complètement et effectuer un bon retour progressif en consultant un professionnel spécialisé et compétent. Je vous réfère à l’excellent nouvel acronyme de traitement des blessures traumatique « PEACE & LOVE » suggéré par La Clinique Du Coureur .
- 2- Inconforts intestinaux
Les inconforts intestinaux sont monnaie courante en épreuve d’endurance et les nausées trônent au sommet du palmarès. La médication est la dernière porte de sortie mais si cette dernière est considérée, seule l’Ondansetron (Zofran) disponible en prescription possède une réelle efficacité pour contrer les nausées. Le bien connu Dimenhydrate (Gravol) est en fait très peu efficace pour contrer les nausées et peut provoquer de la somnolence peu souhaitable en situation de course. La prise d’anti-acides (Pantoloc, Dexilant, Nexium, Zantac, Pepcid)peut également contribuer à réduire les brûlement d’estomac mais sera peu efficace une fois la pathologie installée. Les diarrhées font aussi parti des inconforts causés par les épreuves d’endurances. Elles sont fréquemment causées par des apports en glucides trop concentrées ou par la libération d’endotoxines lors de souffrance intestinale reliée à l’effort. La prise de Loperamide (Imodium) peut être tentée en désespoir de cause mais n’aidera en rien l’état de souffrance intestinale ou de diarrhée osmotique. Les effets secondaires de crampes intestinales, de nausée et d’étourdissement sont fréquents.
- 3- Morsure de Tique
Les tiques font maintenant partie intégrante du paysage des coureurs en sentier Québécois. Pour réduire significativement les risques de transmission de la Maladie de Lyme il est souhaitable de s’inspecter après chaque sortie afin de s’assurer de décrocher l’insecte attaché à la peau en moins de 24 heures. Il est très simple de déloger ces petites bestioles à l’aide d’une pince à sourcils (habituellement incluse sur les petits canifs Suisse). Il faut prendre soins de bien décrocher les pinces de la tique sans les arracher pour ne rien laisser à la peau.
Deux critères doivent être rencontrés pour justifier la prise d’antibiotiques en prophylaxie lors d’une exposition. Premièrement le coureur doit séjourner dans une zone à risque élevée où plus de 20% des tiques sont porteuses de maladie de Lyme et deuxièmement il doit avoir pris plus de 24 heures pour déloger l’insecte. Une dose unique de Doxycycline de 200mg est à ce moment offerte et sera efficace pour réduire le risque si elle est administrée moins de 72 heures après le détachement de l’insecte.
- 4- Irritation anale
Les inconforts à la région péri-anale ne sont pas rares sur les épreuves d’ultra-distance. L’application simple de Vaseline comme crème barrière peut éviter bien des soucis.
- 5- Coups de soleil
Le meilleur moyen de prévention des coups de soleil demeure la réduction de l’exposition. Les tissus respirants qui permettent de recouvrir les surfaces exposées sont les meilleurs amis des coureurs. À ce titre, on retrouve les manchons et les casquettes. L’application de crème solaire doit être répétée.
- 6- Réactions allergiques
L’allergène le plus commun rencontré en sentier est sans contredit l’herbe à puce. Il existe toutefois toute une panoplie d’autres plantes et insectes pouvant menacer les coureurs. Les piqures de guêpes figurent parmi celles qui doivent être prise au sérieux.
Les coureurs qui se savent affectés par des allergies de type anaphylactiques doivent impérativement traîner avec eux plusieurs Epipen. Lors d’une réaction allergique grave en milieu éloigné la durée utile d’une Epipen est limitée et pourrait demander d’être répétée avant que la situation puisse être prise en charge par une équipe de secours. Cette situation devrait être discutée avec son médecin traitant avant d’entreprendre une aventure en milieu éloigné.
Lors d’affection allergique mineure la prise de médication anti-histaminique (Aérius, Réactine, Bénadryl, Atarax) peut contribuer à réduire les symptômes. Les formulations sans somnolence sont évidemment à favoriser.
- 7- Sécheresse occulaire
Les coureurs incommodés par la sécheresse oculaire sont nombreux. Les individus ayant subit une correction au laser en sont particulièrement à risque, surtout dans les mois qui suivent l’intervention. Les épreuves prolongées en altitude, en territoire sec ou exposé au vent sont les plus redoutées. Dans les cas extrêmes, la sécheresse oculaire peut provoquer un phénomène inflammatoire et porter significativement atteinte à la vision.
Le port de lunettes de jour comme de nuit est donc un incontournable en prévention de cette problématique. Les lunettes de type photochromique sont un choix judicieux sur les épreuves prolongées. L’application de gouttes lubrifiantes (Systane Ultra, Lacrilube) est donc fortement recommandée et devrait être considérée chez les individus à risque idéalement avant l’apparition de symptômes.
- 8- Rhinite vasomotrice
La rhinite vasomotrice est un écoulement nasal clair abondant en réaction à différents facteurs non-allergiques comme la pollution de l’air, l’air sec et les changements de température (plus particulièrement au froid). En plus de l’écoulement nasal antérieur désagréable, on peut également faire face à un écoulement nasal postérieur qui peut provoquer des nausées et de la toux. Les solutions de vaporisateur nasal d’Ipratropium (Atrovent nasal) en prescription sont efficaces pour réduire cette problématique.
- 9- Médication et pharmacodynamique/pharmacocinétique
Plusieurs athlètes ont recours à des médicaments sur une base régulière pour traiter diverses affections. Il est très judicieux de vérifier avec son médecin traitant les mécanismes d’absorption et d’élimination des ces médicaments afin de s’assurer que leur utilisation demeure sécuritaire dans un contexte d’effort prolongé. Les médicaments éliminés par le rein peuvent devenir dangereux en contexte de déshydratation et il pourrait être souhaitable de les substituer.